Comment les entreprises parviennent à plus de diversité en travaillant sur leur langage

C’est prouvé : des équipes composées de personnes différentes travaillent mieux. C’est pourquoi nombreuses sont les entreprises qui cherchent à engager des femmes. Mais au lieu d’attirer les candidates, elles les effraient dès l’annonce d’emploi. Avec witty works, Nadia Fischer et Lukas Kahwe Smith veulent changer cela. Cet outil d’écriture aide les entreprises à reconnaître les préjugés et à écrire de manière plus inclusive.

Nadia Fischer a étudié les relations internationales, parle quatre langues et est convaincue que le langage est un outil puissant pour œuvrer à l’inclusion et à la diversité dans le monde du travail. Depuis 12 ans, Nadia Fischer travaille dans le domaine de la technologie. Elle est mariée, a deux enfants et vit à Zurich.

Nadia, pourquoi les entreprises de technologie ont-elles besoin d’un outil linguistique ?

Souvent, le débat sur l’égalité des sexes/genres portent sur ce que les femmes doivent faire pour entrer dans le secteur de la tech. Or nous nous sommes posés la question inverse : que doivent changer les entreprises pour que les femmes se sentent concernées ? Cela passe par le langage. Iris Bohnet*, économiste comportementale suisse et professeure à la Harvard Kennedy School, a montré dans ses travaux qu’il existe encore de nombreux biais inconscients, c’est-à-dire des préjugés profondément ancrés, lors des processus de recrutement. C’est ces préjugés qui freinent fortement les femmes. Alors qu’elles sont en moyenne 40% plus nombreuses à postuler lorsque des offres d’emploi de haut niveau sont rédigées de manière inclusive.

Parlons d’abord des préjugés. Pouvez-vous nous donner des exemples ?

Si une femme se comporte avec assurance, nous la percevrons comme arrogante. Alors qu‘un homme sera jugé compétent. C’est ce qu’a clairement démontré l’expérience Heidi Howard. Cette étude de cas a été menée sur des étudiant·e·s. On leur a décrit une femme d’affaires du nom d’Heidi Roizen, une personnalité extrêmement influente de la Silicon Valley. Toustes les étudiant·e·s l’ont jugée antipathique et arrogante. Mais en remplaçant le nom d’Heidi par celui d’Howard, leur vision a changé. Howard a soudain été vu comme extrêmement compétent. Ce qui était considéré comme visionnaire chez Howard était perçu comme une mise en scène de soi chez Heidi. Et c‘est encore le cas aujourd’hui.

Comment witty works contribue-t-il à identifier et à modifier ces biais ?

Witty est un plug-in de navigateur. Pendant que j’écris, il analyse le texte et souligne les mots derrière lesquels se cache un biais. Nous partons bien sûr du principe que la plupart des gens ne se rendent pas compte qu’iels excluent quelqu’un, qu’il s’agisse de femmes, de personnes en situation de handicap, de personnes racisées, de personnes issues de l’immigration, etc. Avec witty, nous essayons de couvrir autant de facettes de la diversité que possible. A l’heure actuelle, witty peut déjà identifier plus de 50 biais.

Witty détecte automatiquement les préjugés inconscients dans le langage, les souligne et propose des alternatives. Photo ©witty

Lesquels, par exemple ?

Si le mot « ambitieux / ambitieuse » figure dans une offre d’emploi, witty le soulignera, car les personnes à l’esprit coopératif ne se sentent pas représentées par ce terme. C’est également le cas avec le langage dit « agentique », c’est-à-dire un discours qui place l’avancement personnel au-dessus de la coopération, en usant de mots comme « assumer » ou « déterminé·e », mais aussi d’exagérations allant jusqu’aux superlatifs. Des études menées par l’Université technique de Munich et Harvard montrent que ces termes ne parlent plus à la génération Z, par exemple.

En parlant de génération Z, il existe un biais de genre important dans le choix de la profession. Les filles s’orientent encore très souvent vers les métiers du « care » ou les langues, tandis que les garçons se décident pour des professions en lien avec les STIM. Cela est-il aussi dû à notre langage ?

Cela est avant tout très fortement lié à la socialisation. Auquel s’ajoute le fait que le thème du choix professionnel arrive à l’école à un très mauvais moment. Cela commence en sixième année (8H), à un moment où les jeunes sont particulièrement vulnérables à la pression du groupe. Mais les enfants grandissent effectivement aussi avec un certain vocabulaire. Nous nous y habituons et le traînons à l’âge adulte de manière totalement inconsciente.

De quels mots ou termes s’agit-il ?

Les garçons sont davantage socialisés à la compétition et au courage, et les filles à l’honnêteté et à la coopération. Cela signifie donc que les garçons se sentent plus concernés que les filles par des mots qui expriment la compétition (« assidu, orienté vers la performance, … »). On voit ici très clairement que le langage façonne la réalité. Bien sûr, beaucoup de choses changent en ce moment, car de nombreux parents sont conscients du problème. Mais on le voit toujours dans la cour de récréation : les filles sont encouragées à jouer ensemble et à trouver des compromis ; les garçons doivent concourir les uns contre les autres et voir qui est le plus rapide.

Il n’y a pas de règles fixes pour le langage inclusif. Sur quoi vous basez-vous ?

Nous travaillons avec des associations, des organisations et des lobbies spécialisé·e·s chacun·e dans une dimension particulière de la diversité. Nous avons par exemple élaboré le vocabulaire allemand relatif aux personnes en situation de handicap avec l’organisation My Ability. Également, nous avons dans notre équipe une linguiste spécialisée en langage inclusif.

Au début, vous et votre équipe avez surtout proposé des formations sur la diversité. Cela ne suffit-il pas pour sensibiliser les collaborateurices ?

Le problème, c’est que les gens y sont sensibilisés une fois et ont l’impression d’avoir compris. Deux jours plus tard, l’effet s’estompe et il y a un biais de surconfiance. Iels croient alors avoir leurs préjugés bien en vue, alors que tout cela se passe inconsciemment. La conséquence négative est que la situation empire.

En quoi witty est-il différent ?

En plus du plugin, nous proposons des workshops pour expliquer d’où viennent les biais linguistiques et pourquoi le langage inclusif est si important pour les entreprises aujourd’hui. Cela est toujours très bien accueilli, car les gens remarquent que la diversité va bien au-delà d’une utilisation du point médian. De plus, tous les deux mois, nous organisons une réunion avec les responsables, au cours de laquelle nous examinons ensemble les résultats des analyses et réfléchissons à la manière dont leur entreprise peut devenir plus diversifiée et plus inclusive. Dès le début, il était important pour nous de ne pas seulement développer un instrument d’écriture, mais de changer durablement la culture d’entreprise vers davantage d’inclusion.

Nadia Fischer et Lukas Kahwe Smith avec leur équipe actuelle à Zurich. Photo © witty. Nadia Fischer a fondé witty works à l’origine avec deux autres femmes. Lukas Kahwe Smith l’a rejoint plus tard.

Informations complémentaires :

Vous trouverez plus d’informations sur le site web de witty works. La version de base du plugin est disponible gratuitement et existe actuellement en allemand et en anglais.

Livres :
*Iris Bohnet, « What Works : Gender Equality By Design », Harvard University Press, 2018.

Claudie Baudino, « Le sexe des mots : un chemin pour l’égalité : émanciper le langage pour construire une culture de l’égalité », Belin, 2018.

Traduction : Cyrielle Cordt-Moller

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