Comme le montre le dernier rapport de Sport Suisse sur les enfants et chez les adolescent·e·s, les filles font moins de sport que les garçons. Et le constat est encore plus flagrant au sein des clubs. Alors que la différence entre les sexes est très faible autour des 12 ans, un écart se creuse par la suite. Le phénomène n’est pas sans conséquence sur la santé et sur la manière dont les filles perçoivent leur corps. Mais selon Elke Gramespacher, spécialiste de la promotion des filles dans le sport, il existe des solutions pour inverser cette tendance.
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KALEIO: Les filles sont moins nombreuses à pratiquer une activité sportive. Est-ce un problème ?
Elke Gramespacher: Pas en soi. En revanche, si le fait de ne pas faire de sport a des conséquences sur leur santé, alors oui, c’est un problème. Et je ne parle pas uniquement de la santé physique, mais aussi du bien-être et de la santé mental. C’est d’ailleurs là que le sport associatif, en plus de celui pratiqué à l’école, a un rôle à jouer. Le club sportif est un lieu d’intégration où l’on peut nouer de nouvelles amitiés, faire la connaissance de personnes que l’on n’aurait peut-être jamais rencontrées autrement – parce qu’elles vont dans une autre école, par exemple. En d’autres termes, enfants et adolescent·e·s s’y constituent un capital social qui a un effet positif sur leur santé.
Les filles souffrent donc d’un désavantage qui va au-delà de la santé physique parce qu’elles sont moins représentées dans les clubs sportifs ?
Oui. Mais le sport n’est pas le seul domaine où l’on peut bâtir son capital social. Un enfant peut très bien s’épanouir dans une école de musique ou au sein de sa famille élargie, par exemple. De plus, à l’adolescence, alors que les garçons cherchent plutôt leur capital social dans un groupe de pairs du même âge, les filles, quant à elles, le trouvent plutôt auprès de leur meilleure amie avec qui elles vont développer une relation profonde, quasi fusionnelle. C’est un aspect que l’on peut exploiter dans le cadre de la promotion des filles dans le sport.
Comment ?
Des études ont montré que lorsqu’une fille voit sa meilleure amie s’inscrire dans un club de sport, elle aura tendance à la suivre.
«Une fille qui voit sa meilleure amie s’inscrire dans un club de sport aura envie de faire de même.»
Revenons un instant en arrière : pourquoi les filles fréquentent-elles moins les clubs de sport ?
Les raisons sont davantage structurelles qu’individuelles. D’une part, le contexte culturel joue un rôle. Dans certaines cultures, le sport est une pratique encore majoritairement réservée aux garçons. Autre élément : chez elles, les filles sont davantage mises à contribution pour effectuer les tâches ménagères. Elles ont donc moins de temps libre. Certes, c’est en général de moins en moins le cas dans nos sociétés, mais les filles restent néanmoins plus concernées que les garçons. Et ce, quel que soit le pays d’origine des parents.
«Le rôle des entraineuses est déterminant pour attirer les filles vers des sports que l’on pense réservés aux garçons.»
C’est un tableau sombre que vous dressez là.
Je constate aussi des avancées. Si l’on compare les chiffres d’aujourd’hui à ceux des années 90, les filles ont bien rattrapé leur retard en matière de sport associatif. J’en veux pour preuve le football, par exemple. Le nombre de filles à pratiquer ce sport ces dernières années a fortement progressé. Le succès de films comme Joue-la comme Beckham y est notamment pour quelque chose. De plus, les clubs sportifs se sont montrés plus accueillants et ont par exemple commencé à constituer des équipes féminines. Concernant le foot, les parents manifestent également une ouverture d’esprit plus large vis-à-vis de ce sport. C’est un facteur décisif. Et je pense que la tendance va se poursuivre à mesure que le nombre d’entraîneuses va augmenter.
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Quelles autres actions faut-il mener pour motiver encore plus les filles à faire du sport ?
Selon moi, la notion d’empowerment est particulièrement cruciale. Pour développer la capacité des filles à agir, nous devons mieux leur faire connaître les différentes disciplines sportives qui existent, y compris celles que l’on croit réservées aux garçons. Je pense notamment aux sports de combat. Pour y parvenir, on peut par exemple faire venir des entraineuses ou des entraineurs en milieu scolaire. Il faut aussi mettre en lumière des filles qui pratiquent ce genre de sport, comme vous le faites dans Kaleio avec la rubrique « Bouge comme Brindacier ». Car le blocage chez les filles est particulièrement visible vis-à-vis des disciplines à connotation masculine. Elles peuvent notamment craindre les moqueries. D’où l’importance d’organiser des journées sportives réservées aux filles.
«À la puberté, le sport pratiqué entre filles offre un espace protégé qui leur permet de mieux appréhender leur corps en pleine transformation.»
Pourquoi « réservées aux filles » ?
Le but est d’encourager les filles à essayer quelque chose qu’elles ne connaissent pas. Elles doivent pouvoir le faire entourées d’autres filles et, dans l’idéal, encadrées par une entraîneuse capable de comprendre et de motiver le groupe. C’est une approche particulièrement importante au moment de la puberté, lorsque le corps des jeunes filles commence à se transformer, qu’elles doivent le redécouvrir et comprendre comment se l’approprier.
En général, j’utilise plutôt le terme « attentif au genre ». La question des genre ne se prête pas toujours au contexte, et nous ne devrions pas la dramatiser. Dans certains cas, la mixité au sein de la constellation du groupe s’avère nécessaire. Mais nous ne devons jamais perdre de vue la dimension filles-garçons. Sans quoi les besoins des filles risquent d’être oubliés. Et c’est un écueil à éviter absolument !