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Où sont les femmes de l’histoire (suisse) ?

Dans « Kira et Kooki », la série BD adorée des lecteurices KALEIO , la jeune Kira (12 ans) part à la recherche de sa mère inventrice perdu dans le passé, accompagnée de Kooki, petit robot intelligent qui voyage dans le temps. Au cours d’un voyage mouvementé à travers les époques, Kira et Kooki rencontrent des Suissesses fascinantes. Qu’elles soient soldates, médecins, politiciennes, peintres, activistes, entrepreneuses, travailleuses immigrées ou espionnes : ces femmes et bien d’autres ont écrit l’histoire ! Mais pourquoi si peu de femmes apparaissent-elles dans nos livres d’histoire ? Nous avons posé la questions à l’historienne et journaliste Nadine A. Brügger.

Nadine Brügger, pourquoi les femmes sont-elles si peu présentes dans les livres d’histoire ?

Pendant longtemps, les femmes n’ont pas eu le droit d’apprendre un métier ou d’étudier. Elles étaient donc généralement exclues des grandes découvertes scientifiques, des stratégies militaires et des négociations politiques. Or, c’est précisément ces types d’événements qui figurent dans la plupart des livres d’histoire. De plus, nombreuses étaient les femmes qui ne savaient ni lire ni écrire, parce qu’elles ne pouvaient pas aller à l’école ou seulement brièvement. Difficile dans ces conditions de participer à l’écriture de l’histoire. L’histoire que l’on trouve dans les livre a donc été écrite en majorité par ceux qui le pouvaient et qui en avaient le droit, c’est-à-dire des hommes. Et ces hommes ont raconté l’histoire à d’autres hommes.

Ce qui veut dire ?

Vous l’avez peut-être remarqué avec vous-même : lorsque vous racontez quelque chose que vous avez vécu ou observé, vous le racontez de votre point de vue. Et vous le racontez probablement aux personnes qui vous ressemblent et qui sont proches de vous. Les hommes n’excluaient pas forcément par malveillance les femmes de leurs récits. Elles étaient tout simplement absentes de leur vie professionnelle et intellectuelle. Aujourd’hui, on n’étudie plus seulement les grands événements comme les guerres, mais aussi la manière dont les humains vivaient au quotidien – et là, les femmes apparaissent ! Nous essayons de combler les lacunes.

Nadine A. Brügger erforscht als Historikerin die Vergangenheit und schreibt als Journalistin über die Gegenwart. Sie ist Autorin des Buches «Helvetias Töchter» (Arisverlag 2021). Foto: Tim Loosli.
Nadine A. Brügger étudie le passé en tant qu’historienne et écrit sur le présent en tant que journaliste. Elle est l’auteur du livre «Helvetias Töchter» (Arisverlag 2021). Photo : Tim Loosli.

Nos livres d’histoire vont donc devenir bien plus épais ?

Je ne pense pas. On mettra simplement d’autres choses en avant !

Pourquoi est-ce important d’examiner le passé, alors qu’on ne peut plus le changer ?

Car cela permet de mieux comprendre le présent. Et parce que toutes celles et ceux qui nous ont précédés peuvent servir d’exemple. Si je sais que des personnes qui me ressemblent ne se sont pas laissées abattre par exemple, cela me donne du courage. J’ose alors défendre mes droits et mes convictions.

Contrairement à Kira, l’héroïne de la BD, vous n’avez pas de machine à voyager dans le temps. Comment faites-vous pour explorer le passé ?

Je fouille les archives, je lis des lettres et des journaux intimes, je regarde des photos, j’étudie des affiches de votation, j’écoute de vieilles émissions radio, etc. Et je parle avec des femmes et des hommes. Le plus difficile, c’est de trouver des détails ! Par exemple, en 1940, y avait-il déjà des lampes à vélo, mangeait-on des oranges, les téléviseurs avaient-ils des télécommandes ? Je travaille comme une détective.

Aus der Feder von Mireille Lachausse: Kira und Kooki.
Au cours d’un voyage semé d’embuches à travers le temps, Kira et Kooki ont un aperçu du quotidien de différentes femmes, de l’Antiquité romaine à un passé récent. La bande dessinée est l’œuvre de l’illustratrice vaudoise Mireille Lachausse.

Si vous aviez une machine à voyager dans le temps, où iriez-vous ?

Je voudrais un abonnement pour toutes les époques ! J’aimerais par exemple voyager avec Gertrude Bell au Proche-Orient dans les années 1900. Le monde était pour elle une aventure. Elle a conseillé des rois arabes, négocié avec des tribus nomades, participé à la fondation de l’actuel Irak… mais n’apparaît dans presque aucun livre d’histoire – contrairement à son compagnon de voyage, Lawrence d’Arabie, qui est mondialement connu. Ou j’aimerais rencontrer la physicienne Lise Meitner qui a découvert, à la fin des années 1930, la fission nucléaire avec Otto Hahn. Il a reçu le prix Nobel pour cela, mais pas elle. Je voudrais lui demander : « Est-ce que ça t’a mise en colère ? »

Aujourd’hui pourtant, tout le monde peut entrer dans l’histoire. Il suffit de se créer un profil sur Internet.

Effectivement, mais la question est : qui le lit ? Il ne suffit pas que l’information soit disponible pour être lue. C’est la même chose pour les femmes de l’histoire. Beaucoup d’entre elles ont écrit à un moment donné – par exemple des journaux intimes. Mais personne ne les lisait. Ce n’est qu’aujourd’hui que des gens comme moi s’y intéressent. On peut aussi prendre l’exemple de Wikipédia : tout le monde peut y participer. Mais étonnamment, pendant longtemps, seuls des hommes ont rédigé des articles (majoritairement à propos d’autres hommes) pour cette encyclopédie en ligne. Cela montre que ce n’est pas parce que quelque chose est ouvert à toutes et tous que véritablement tout le monde aura son mot à dire.

Rendre les femmes visibles de façon ludique : dans «Kira et Kooki» , les lecteurices font la connaissance de femmes suisses passionnantes, comme Catherine de Watteville.

Que pouvons-nous faire ?

Nous pouvons étudier de très près et nous renseigner sur la manière dont des personnes qui ont une vie totalement différente de la nôtre vivent le présent. Le plus important, c’est de rester curieux·se, intéressé·e,
et de sans cesse (se) poser des questions. Et lorsqu’on pose des questions, on doit être prêt·e à entendre réellement ce que notre interlocuteur·trice veut dire – même si ce que cette personne dit ne correspond pas du tout à notre opinion ou à nos attentes. On se rendra peut-être finalement compte que les deux ne divergent pas tant que ça. En trouvant des points communs, c’est-à-dire en avançant ensemble, on peut aller beaucoup plus loin.

Traduction: Cyrielle Cordt-Moller

Le 30 mai 2023, la BD «Kira et Kooki» sortira sous forme de livre. Elle comprendra les 12 premiers épisodes + 1 épisode bonus. A précommander dès maintenant !

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