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Le regard des autres et l’égalité dans le monde de la BD

Mireille Lachausse est illustratrice et auteure de BD, basée à Aigle et passionnée de son métier. Elle témoigne du sexisme dans son milieu, tout en affirmant que la situation s’est améliorée ces dernières années. Cette amélioration est le fruit de l’engagement de différentes associations qui luttent pour plus d’égalité dans le monde de la BD et pour l’inclusion des illustratrices.

Autoportrait. © Mireille Lachausse.

KALEIO : Qu’est-ce que tu dessines en ce moment ?

Mireille Lachausse : Je suis en train de travailler sur la suite du livre « 50 suissesses sensationnelles » qui présente 50 portraits de femmes exceptionnelles. Ce deuxième tome parlera de 50 immigrés en Suisses, femmes comme hommes. Je travaille également sur la suite de « Kira et Kooki », la bande dessinée de KALEIO. Et puis j’illustre un livre de contes jurassiens qui sont transcrits du patois jurassien. Je viens moi aussi du Jura, et c’est le patois de ma grand-mère. Je suis donc très heureuse de travailler sur ce sujet-là. 

Comment es-tu devenue illustratrice?

J’ai toujours aimé dessiner et raconter des histoires. Et la bande dessinée combine les deux. C’est devenue une passion qui s’est accentuée à l’adolescence. Je me suis ensuite dirigée vers une école d’art. Mais ce n’est pas forcément facile de trouver du travail dans le domaine de l’art.

 Sa nouvelle bande-dessinée « Bleu de Gênes » sort officiellement le mois  prochain chez Splotch!

Quelles difficultés as-tu rencontrées ?

C’est un métier qui est beaucoup plus axé sur les contacts que sur le talent. Je suis évidemment d’accord que le talent et le travail sont très importants, mais dans ce genre de milieu, il ne faut vraiment pas négliger les contacts. Depuis quelques années, ils existent de plus en plus d’associations de femmes illustratrices au sein desquelles il est plus facile en tant que femme de réseauter et de se faire sa place. Elles sont très inclusives et permettent de rencontrer d’autres illustratrices ou des éditeurs·trices et de promouvoir son art.

C’est donc plus difficile de se faire une place dans ce milieu quand on est une femme ?

J’ai l’impression que cela s’est amélioré. Il y a une dizaine d’années, le monde de la bande dessinée était surtout un monde d’hommes qui buvaient des bières et qui rigolaient ensemble. Ce n’était pas facile lorsqu’on était une femme, ou bien quelqu’un issu de l’immigration par exemple, d’arriver à rester dans le milieu et d’être inclus dans le groupe. Mais il y a eu cette prise de conscience en 2013, avec l’autrice de BD française Lisa Mandel, qui a lancé une discussion sur les femmes dans le milieu de la bande dessinée. Cela a donné, entre autre, la création de l’association « BD-égalité» ((https://bdegalite.org/)) [un collectif qui lutte contre toute forme de sexisme dans le monde de la bande dessinée ; ndlr]. C’est comme ça qu’on arrive à s’entraider les unes et les autres et à se faire une place.

Fais-tu partie de ce collectif ?

Non, je ne fais pas partie du collectif « BD-égalité » mais du collectif « La Bûche », qui est centré sur la Suisse-romande et qui a été créé en 2015 par les illustratrices Fanny Vaucher et Jenay Costantini-Loetscher pour contribuer aussi à un paysage de la bande dessinée plus égalitaire.

L’illustration fait parti du projet « pop-art » de 2022 et représente l’Ophélie de Shakespeare. Chacune des participante devait représenter un personnage de la culture populaire. Mireille a choisi Ophélie, l’un des deux seuls personnages féminins du drame shakespearien Hamlet. © Mireille Lachausse.

Y a-t-il beaucoup de sexisme dans le domaine de la bande dessinée ?

Je dirai que là aussi, la situation s’est améliorée, mais cela a clairement été le cas pendant longtemps, oui. J’ai entendu des choses comme : « Oh comment c’est possible que c’est une fille qui dessine ça? » Ou des discussions sur un soi-disant style féminin. De mon côté, je n’ai jamais eu de problèmes avec les éditeurs, mais je sais que c’est quelque chose d’assez récurent dans ce milieu. Par contre, celui-ci s’est beaucoup féminisé ces dernières années. Et ce aussi parce que c’est très difficile d’en vivre financièrement. D’une manière générale, c’est très mal payé. La plupart de bédéistes que je connais ont un métier alimentaire. Il faut être conscient que les places d’illustrateur·trice sont extrêmement rares en Suisse. C’est plus facile de trouver un travail stable dans l’illustration en France pour des compagnies d’animation ou de jeu-vidéo par exemple. Je ne veux pas décourager les jeunes qui veulent se lancer dans le métier. Je dirais même que ça vaut le coup car ça reste un métier que j’adore mais c’est important de garder tous ces aspects en tête. 

Qu’est-ce qui doit, selon toi, changer encore afin d’atteindre une vrai égalité entre les hommes et les femmes dans ton domaine?

Pour améliorer la situation, il faut continuer l’effort de représentation des femmes dans la bande-dessinée : d’une part au niveau de la valorisation de leur travail, d’autre part en employant plus de femmes dans les hautes sphères des maisons d’éditions et en tant que professeurs dans les écoles d’art. Ces changements sont en train de se faire progressivement, tout simplement par l’évolution générationnel. Les femmes nées dans les années 1980 étaient déjà plus nombreuses dans les écoles d’art que les hommes de cette génération. Si les réseaux sont principalement masculins, le milieu reste masculin. Mais grâce à des initiatives comme « La Bûche » qui met en avant les créatrices romandes, les choses changent.

Il y a donc beaucoup de choses à faire encore avant de pouvoir parler d’une vrai égalité dans le monde de la BD et, plus globalement, de la littérature aussi…

Pour cela, il y a aussi un effort global à faire pour revaloriser le travail artistique au niveau financier. Ces dernières années, des initiatives de maisons d’édition coopératives ont été lancé. Des groupes d’auteurices se rassemblent pour changer le mode de rémunération classique dans le milieu du livre. Il faut aussi repenser les structures autour des autrices : aller en festival et y présenter son travail est une part important du métier d’illustrateur·trice·s BD afin de présenter ses créations au public, entretenir son réseau et trouver de nouveaux projets. Mais comment faire pour coupler le fait d’être en festival pendant des week-ends entiers et s’occuper de ses enfants ?


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