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Diversité en classe : rêve ou réalité ?

Quand j’étais enfant, certain·e·s de mes camarades de classe étaient plus bruyant·e·s que d’autres. Il y avait les élèves qui apprenaient plus vite, d’autres qui avaient besoin de plus de temps. Mais je ne connaissais aucun enfant en situation de handicap (par ex. avec une trisomie 21 ou bien en fauteuil roulant). L’unique camarade qui sortait du lot par son comportement a dû changer de classe après un an ; on s’amusait d’ailleurs bien ensemble sur le chemin de l’école. Mais après son changement de classe, nous ne sommes pas restés contact.

En lisant l’interview de Viola, 13 ans, dans le n°4 de Kaleio, j’ai compris que l’école avait vraiment évolué au cours des 10-20 dernières années – du moins en ce qui concerne l’intégration des enfants en situation de handicap. Viola est en fauteuil roulant et fréquente l’école de son village. Des moyens auxiliaires lui permettent de faire beaucoup de sport, et elle s’intègre bien en classe.

Illustration : Patricija Bliuj-Stodulska

C’est pourquoi, j’ai été surprise de lire que l’enseignante de Viola suggérait pour la jeune fille un changement dans une école spéciale. D’après elle, les autres enfants – à l’approche de l’adolescence – risquaient d’exclure davantage Viola. Le fait que Viola n’ait jusqu’ici pas eu de mauvaises expériences ne semblait pas avoir d’importance. Cela m’a fait réfléchir. Laisser des enfants en situation de handicap physique ou intellectuel dans des classes ordinaires ne devrait-il pas aujourd’hui être une évidence ?

J’ai pu le constater avec moi : le fait que je n’aie eu aucun contact précoce avec des enfants en situation de handicap est à l’origine de nombreux préjugés. Adolescente, pour me rendre à l’école, je passais toujours devant une fondation où travaillaient des personnes avec des handicaps intellectuels. Même si je suis aujourd’hui gênée de l’admettre, ces personnes me faisaient peur. Leur comportement me semblait imprévisible. Des classes inclusives ne permettraient-elles pas de favoriser la compréhension ? Je suis partie à la pêche aux réponses pour Kaleio.

Les classes sont toujours plus sociales

En Suisse, la loi sur l’égalité pour les personnes en situation de handicap est entrée en vigueur en 2014. Elle oblige les cantons à promouvoir l’intégration scolaire des enfants en situation de handicap. Le principe est le suivant : si cela est possible et sert le bien de l’enfant ou de l’adolescent·e, alors l’intégration à l’école ordinaire doit avoir lieu. Ce mandat d’intégration concerne non seulement des enfants en situation de handicap physique comme Viola, mais aussi celleux ayant une forme d’autisme, un handicap intellectuel ou des troubles de l’apprentissage. Si un enfant se voit attribuer le statut d’élève à besoins éducatifs particuliers, son école bénéficie – conformément aux dispositions cantonales en vigueur – de davantage de ressources afin de le·a soutenir dans son quotidien scolaire. Cela prend généralement la forme de leçons supplémentaires avec un·e enseignant·e titulaire d’une formation pédagogique spécialisée.

Pour me faire une idée de comment tout cela fonctionne dans la pratique, j’ai discuté avec plusieurs enseignant·e·s de différents degrés scolaires et cantons. Toutes les personnes interrogées ont souhaité garder l’anonymat, car elles considèrent l’intégration scolaire comme un sujet politique controversé et ne désirent pas s’exposer. Mais toutes en vantent les effets très positifs dans le quotidien scolaire. Les classes intégrant un·e élève à besoins éducatifs particuliers sont en général plus sociales, plus serviables et plus tolérantes que celles n’en accueillant pas.

Illustration : Patricija Bliuj-Stodulska

L’intégration semble surtout bien fonctionner au niveau primaire et secondaire. « Quelques enfants ont endossé le rôle d’assistante et d’assistant », raconte une enseignante primaire du canton de Soleure qui compte dans sa classe un enfant avec une trisomie 21 et un autre ayant d’importants troubles de l’apprentissage. Selon l’état d’esprit de ces deux élèves, des escalades peuvent parfois se produire. « Les autres enfants ont alors pour missions de venir me chercher ou, si possible, de ne pas encourager leur comportement. »

Une enseignante de classe enfantine dans le canton d’Argovie raconte également à quel point, et à son propre étonnement, l’intégration sociale d’un jeune autiste avait bien fonctionné : « Au début, l’enfant jetait tout autour de lui, cassait les jouets, nous mordait. » Il a fallu beaucoup d’effort de la part de tout le monde pour permettre à ce garçon de s’habituer à son nouvel environnement. « Aujourd’hui, il est plus calme. Les autres enfants l’apprécient et lui donnent même parfois la main. »

La situation se complique aux niveaux scolaires supérieurs, lorsque les intérêts des enfants divergent de plus en plus. Peter Lienhard, chargé de cours à la Haute école intercantonale d’éducation spécialisée, connaît bien ce genre de cas. « Un enfant de 7 ans avec un handicap intellectuel trouvera toujours des camarades de son âge avec qui jouer au Uno, explique-t-il. Mais lorsque chez les plus âgé·e·s il est soudain question de relations amoureuses ou de changement climatique, il arrive que les jeunes en situation de handicap se retrouvent exclus des cercles sociaux. »

Peter Lienhard conseille les cantons et les écoles sur la manière d’intégrer les enfants en situation de handicap. D’après son expérience, placer un enfant en école spéciale à la puberté – en cas de conflits sociaux par exemple – dépend de l’enfant lui-même. « En règle générale, les enfants et les adolescent·e·s peuvent juger elleux-mêmes s’iels sont la cinquième roue du carrosse, poursuit Peter Lienhard. Certain·e·s supportent très mal leur différence et sont ravi·e·s d’intégrer une école spéciale. D’autres s’en accommodent très bien. »

Illustration : Patricija Bliuj-Stodulska

Selon une éducatrice spécialisée du canton de Berne, ce n’est pas la puberté mais la pression liée à la performance qui va rendre l’intégration difficile. Car celle-ci croît massivement dans les niveaux scolaires supérieurs. « La compétition qui s’y livre va exacerber la différence entre les élèves intégrés et les autres », explique-t-elle. Elle souligne cependant que l’intégration continue de fonctionner dans la plupart des cas, même à ce niveau.

Tout sauf une évidence

En jetant un œil à l’intérieur des salles classe, on voit que la majorité du corps enseignant – malgré les conflits sociaux et la pression liée à la performance – considère l’intégration comme un enrichissement et espère des effets positifs sur la société. Mais le thème des ressources demeure un véritable problème : le nombre de leçons de soutien additionnels étant souvent limité, cette mission d’intégration représente pour beaucoup de professeur·e·s un effort supplémentaire, voire parfois même une charge. L’Association faîtière des enseignantes et enseignants de Suisse dénonce cette réalité depuis longtemps. Selon sa présidente, Dagmar Rösler, c’est encore et toujours au corps enseignant de combler le fossé. « D’un côté, ils doivent répondre aux attentes de la méritocratie, et de l’autre satisfaire aux besoins des enfants requérant une attention particulière. »

À cela s’ajoute le fait que le concept d’intégration ne s’est pas encore imposée partout. Une enquête récente du Centre suisse de pédagogie spécialisée a analysé pour la première fois en détail l’offre de mesures scolaires intégratives et séparatives pour les enfants en situation de handicap, et a relevé d’importantes disparités à travers le pays. La moitié des cantons ont encore des classes spéciales, et malgré les offres intégratives qui s’étoffent, certains d’entre eux prévoient malgré tout d’augmenter le nombre d’écoles spécialisées dans les années à venir.

Conclusion : un constat en demi-teinte. Même si de nombreux enseignant·e·s soutiennent l’idée d’intégration, celle-ci est, aujourd’hui encore, tout sauf une évidence. En pratique, elle demande beaucoup d’engagement de la part des écoles et des parents. Je suis donc sceptique quant à la question de savoir si les préjugés sociaux, comme ceux que j’ai pu observer chez moi, pourront effectivement s’amenuiser, au regard de la situation actuelle.

D’ailleurs : dans quelle mesure cette volonté de raffermir, à travers l’école, le contact avec les différences répond-elle aux besoins des enfants en situation de handicap ? Que faut-il mettre en place pour qu’iels puissent profiter des atouts d’une scolarité inclusive ? Une famille ayant fait l’expérience de l’école intégrative avec leur enfant répondra à ces questions dans un prochain article de Kaleio.


Traduction : Jessica Stabile

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